Commission des « 1000 premiers jours » : quelques pistes avant le rapport

L’encre du rapport de la commission des « 1000 premiers jours » est en train de sécher. C’est le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, qui l’a assuré hier lors d’un point d’étape à la presse. Le rapport devrait être rendu public en septembre prochain. La commission d’experts en charge de sa rédaction, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, est composée de 18 spécialistes. La gynécologue-obstétricienne Alexandra Benachi, la psychothérapeute Isabelle Filliozat et la pédiatre et directrice de recherche au CNRS Ghislaine Dehaene-Lambetz étaient hier présentes aux côtés de Boris Cyrulnik et du ministre.

En parallèle des travaux de la commission, Adrien Taquet est allé à la rencontre de près de 1000 parents et une consultation en ligne a été réalisée auprès de 10789 parents. Qu’en ressort-il ?

Qu’il faudrait, en priorité, « repenser les congés de naissance, repenser le système de modes de garde, donner les moyens aux parents de faire le tri entre bons et mauvais conseils, disposer d’un meilleur suivi dès la grossesse jusqu’aux deux ans ». L’allaitement est apparu comme une thématique forte. Concernant les modes d’accueil, les familles déplorent un coût trop élevé et un manque de flexibilité.

Focus sur la dépression du post-partum

 

Adrien Taquet est revenu sur les verbatims recueillis au cours de son tour de France des familles et des auditions de différents acteurs de terrain. Il en retient un grand sentiment de solitude, avec un manque de lien autour de la naissance, un besoin de parler, une information surabondante et déroutante car piégée par des injonctions contradictoires, une réinvention du rôle des pères. Le Ministre a aussi évoqué une nécessaire refonte des congés parentaux, longs mais peu rémunérés et donc pris essentiellement par les mères. Il a noté que la thématique de la dépression du post-partum (DPP) a semblé beaucoup parler aux mères interrogées. Alexandra Benachi a rappelé qu’elle concernait 10 à 15% des femmes.

Le sujet a longtemps été sous-traité en France. Il suscite de plus en plus l’intérêt des pouvoirs publics, grâce notamment au lobbying de la toute nouvelle Alliance francophone pour la santé mentale périnatale. La gynécologue a évoqué l’intérêt de l’entretien prénatal précoce. Outil précieux, en effet, mais qui a malheureusement montré ses limites en matière de prévention sur ce sujet très précis. Lors de la deuxième journée scientifique organisée autour de la cohorte Elfe, en septembre 2018, (nous avions à l’époque effectué plusieurs comptes-rendus sur le site GYNGER), la psychiatre Anne-Laure Sutter avait présenté une étude consacrée à la dépression maternelle. 10% des 12386 mères interrogées présentaient un score élevé sur l’échelle d’Edimbourgh (l’outil le plus utilisé pour dépister la dépression du post partum). Le médecin avait également souligné que l’entretien prénatal précoce et la préparation à la naissance ne permettaient pas vraiment de prévenir ces épisodes dépressifs en postpartum. Elle avait une explication. Il existe des facteurs de risque bien identifiés pour la DPP, notamment le rôle du soutien social, les inégalités sociales de santé ainsi que le statut migratoire lorsque le couple est concerné par les symptômes dépressifs. Or, l’entretien prénatal précoce est plutôt utilisé par des femmes bien insérées qui sont moins à risque. Anne-Laure Sutter avait conclu qu’il faudrait « avoir une approche plus populationnelle, définir une population à risque, rechercher des facteurs de risque tout le temps pour toutes les femmes, et avoir des programmes préventifs ciblés ».

Evocation de facteurs de vulnérabilité

 

Au cours de ce point d’étape, le Ministre et les experts présents sont d’ailleurs revenus sur les vulnérabilités, les facteurs de vulnérabilité et facteurs de protection qui jouent un rôle crucial au cours de cette période sensible des 1000 jours, évoquant la nécessité d’un universalisme « différencié » ou « proportionné ». Cette nouvelle politique de soutien à la parentalité est en effet considérée comme le volet prévention de la politique de protection de l’enfance.  « Cette politique, selon le Ministère, doit contribuer à la lutte contre les inégalités de destin en garantissant à chaque enfant un environnement sécure et favorable à son développement. » C’est Isabelle Filliozat qui a énuméré quelques facteurs de risque, « pauvreté, pollution, perturbateurs endocriniens, alcool, violences, dépression, isolement, stress, épuisement parental, chocs pendant grossesse… ». Adrien Taquet, a de son côté rappelé les différences de développement des enfants, notamment sur le plan du langage, selon le statut socio-économique de leurs parents.

Mine de rien, évoquer des facteurs de risque en matière de développement de l’enfant et de parentalité c’est assez nouveau en France, où depuis 20 ans la politique de soutien à la parentalité se veut résolument universaliste et généraliste (« tous les parents ont potentiellement besoins de soutien »), notamment par crainte de stigmatiser une partie de la population ou d’obéir à une vision trop déterministe. La stratégie de soutien à la parentalité « dessine moi un parent » publiée en 2018 consacrait à peine un encart à cette question des facteurs de risque psycho-sociaux. « C’est l’accumulation des risques et le fait de ne rien faire qui produit du déterminisme », prévient de son côté Isabelle Filliozat.

L’autre inflexion à l’oeuvre dans les travaux de cette commission des 1000 jours réside dans la volonté affichée de « partager des messages de santé publique ancrés dans la science ». Là encore, une telle assertion peut sembler anodine ou tomber sous le sens. Pas en France, où en matière de parentalité, la norme ou la prescription, fussent-elles fondées sur les apports de la recherche, suscitent chez bien des experts et acteurs de terrain adeptes du relativisme éducatif des réserves presque épidermiques (« éduquer un enfant ça change selon les époque et selon les cultures », « il n’y a pas une bonne façon de faire »). Il faudra attendre le mois de septembre pour savoir si les experts de la commission, de spécialités et parfois d’approches très différentes, ont pu dégager un consensus sur ces informations « labellisées » à transmettre en priorité aux parents.

Gaëlle Guernalec-Levy

1 Comment
  • boumediene
    Posted at 09:11h, 06 juillet

    i learn from you,thanks!

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