La naissance des inégalités à la loupe

« Enfances de classe, de l’inégalité parmi les enfants », sous la direction de Bernard Lahire, est paru en septembre 2019 aux éditions du Seuil. Un livre-somme qui montre comment les conditions de vie mais aussi les pratiques parentales très socialement clivées dessinent très tôt, terriblement tôt, la destinée des enfants. Gaëlle Guernalec-Levy, la co-fondatrice de PAPOTO, avait proposé à l’époque une recension sur son site GYNGER. Vous pouvez lire ici le début :

Plus de 1200 pages pour montrer «l’importance des effets des primes socialisations sur le destin des enfants ». Une telle somme était-elle nécessaire pour mettre en lumière un phénomène déjà bien étudié ? Oui, en raison du parti pris des auteurs, qui croisent portraits sociologiques et analyses théoriques autour d’une enquête menée auprès de 35 enfants de 5 à 6 ans, et de leur entourage. Loin de la sécheresse académique (mais très instructive aussi) des études scientifiques publiées dans les revues internationales, les 17 chercheurs mis à contribution, sous la houlette de Bernard Lahire, livrent, en plus de chapitres consacrés aux analyses transversales, des instantanés, des chroniques, un réel fait de chair, de petits morceaux d’humanité qui forment un tout signifiant. Des détails du quotidien et des mots (ou des silences) d’enfants et de parents qui viennent colorer, incarner, les résultats bien connus des cohortes longitudinales.

En introduction, Bernard Lahire formule ainsi une réalité trop souvent oubliée ou niée : « Le fait que la socialisation familiale soit à la fois précoce, intense, durable, et, pendant un temps au moins, sans concurrence ni comparaison, explique donc l’étendue et la force de son influence sur les comportements ultérieurs.(…) La famille, par l’intermédiaire de laquelle chaque individu découvre sa société et apprend à y trouver sa place, est l’espace premier qui tend à fixer les limites du possible et du désirable.» L’ouvrage donne la parole à des familles vivant dans une très grande pauvreté, à des classes populaires « stabilisées », des classes moyennes pas si éloignées des ouvriers ou au contraire culturellement proches des classes supérieures, des familles d’intellectuels aisées ou en déclassement économique. Ce qui permet de distinguer assez finement les effets différenciés du capital économique et du niveau de diplôme des parents.

Certains enfants vivent dans un extrême dénuement. « L’espace manquant, l’inconfort, l’insalubrité sont autant de limites quotidiennes et répétées que l’enfant intériorise. Le monde social est pour ces enfants un monde de contraintes matérielles, qui restreignent l’espace des possibles. » Au-delà des conditions matérielles, c’est l’analyse des projections, attitudes, postures, pratiques parentales selon le milieu social et de leurs effets sur l’enfant et sur ses capacités d’adaptation à l’école qui sont très finement mis en lumière. La totalité des parents des classes supérieures et un peu moins de la moitié des parents des classes moyennes et populaires souhaitent par exemple que leurs enfants poursuivent longtemps leurs études et obtiennent des diplômes (au moins le baccalauréat).

Les chercheurs notent aussi que si tous les parents interrogés ont confiance dans l’école, cette confiance se manifeste de différentes façons. Dans les classes moyennes et supérieures elle passe par « des échanges avec le personnel éducatif et l’emprunt de certaines méthodes ». Dans les classes populaires « cette confiance se manifeste plutôt par une délégation parentale et une mise à disposition pour l’accompagnement des activités ». La suite du texte est en accès libre sur GYNGER

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