La génétique comportementale dans les interventions précoces 

C’est à la fois un des sujets philosophique les plus anciens et une réflexion scientifique d’une permanente actualité : de la nature ou de la culture (au sens de l’environnement), qu’est-ce qui influence le plus le comportement humain ? Tom Mac Bride, le « directeur des données probantes » de la Early Intervention Foundation, a publié le 22 septembre une note de blog proposant une approche intéressante. Pour rappel, la EIF est l’un des 9 « What works center » anglais. Il s’agit d’agences non gouvernementales dont l’objectif est de favoriser des politiques publiques fondées sur la preuve et de permettre ainsi aux professionnels de terrain et aux décideurs de s’approprier les enseignements des évaluations d’impact afin de recourir aux méthodes, pratiques, programmes considérés comme les plus efficaces.

« Tel père, tel fils »… Et après ?

Tom Mc Bride rappelle quelques dictons populaires illustrant l’idée de l’héritabilité d’une grande partie des comportements humains : « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre » ou « Tel père, tel fils ». Il utilise aussi cette citation reprise dans un podcast d’une collègue : « Les psychologues croient tous dans le rôle prééminent de la culture (au sens de l’environnement) jusqu’à ce qu’ils aient leur deuxième enfant ». La plupart des parents s’interrogent en effet sur ce qui semble une insondable énigme : comment des enfants élevés par les mêmes parents peuvent présenter des caractéristiques aussi différentes ?

Il relève également que si l’héritabilité d’éléments purement physiques ne semble poser de problème à personne, la transmission génétique des traits de caractère est bien plus controversée. Or, explique-t-il, les données de la littérature semblent aller de plus en plus dans le même sens : il semblerait qu’une grande partie de nos comportements, de nos caractéristiques mentales, soient bien génétiques. Hypothèse qui a mené au développement d’un nouveau champ de recherches, la « génétique comportementale ».

Gén…éthique

Le sujet est évidemment très sensible, propice aux questionnements éthiques. « A la EIF, notre mission est de nous assurer que les services dédiés à l’enfance ont connaissance des données probantes disponibles, rappelle Tom Mc Bride. Pour nous la question n’est pas de savoir si la génétique façonne le développement de l’enfant mais si un tel savoir peut être utilisé d’une façon sûre, pratique et éthique pour intervenir précocement et mieux mieux soutenir ceux dont on sait qu’ils présentent des risques d’un moins bon développement. Nous ne pouvons pas nous poser de telles questions dans le vide, et en nous interrogeant nous devons garder à l’esprit les connexions qui historiquement ont relié la génétique, l’eugénisme et certains aspects de l’idéologie d’extrême droite ». Il y a d’un côté les données scientifiques, de l’autre ce que nous en faisons. Mac Bride ne cite pas Montaigne mais il aurait pu. Comment utiliser les informations qui s’accumulent sur la dimension génétique des comportements d’une façon qui ne va pas « marginaliser les individus, renforcer les désavantages ou accroître les inégalités ? » On pourrait ajouter : pourquoi continuer d’ intervenir précocement auprès des parents, donc dans l’environnement de l’enfant, si génétiquement tout est joué d’avance ?

La EIF a en tous cas décidé de s’attaquer à cette problématique en sollicitant des avis d’experts afin d’évaluer les risques et opportunités de la prise en compte de cette approche génétique pour les politiques futures consacrées à l’enfance. Elle devrait publier quelques recommandations au printemps prochain.

Héritabilité ne veut pas dire fatalité

C’est une question que nous avions de notre côté pu aborder à plusieurs reprises sur GYNGER puisqu’elle revient très régulièrement dans les publications scientifiques.

En 2013, dans la revue Intelligence, une équipe du King’s College de Londres publie les résultats d’une étude très complexe dont la conclusion est la suivante : « En résumé, l’influence génétique est significative et substantielle sur le statut socio-économique de la famille, sur le quotient intellectuel de l’enfant ainsi que sur l’association entre le statut socio-économique de la famille et le le QI de l’enfant. Notre analyse fournit la première preuve fondée sur l’ADN que l’association bien documentée entre le statut socio-économique de la famille et le développement cognitif de l’enfant, habituellement interprétée comme un effet environnemental, repose substantiellement sur des facteurs génétiques. » Les auteurs tiennent à ajouter cette précision : «  Bien que ces résultats soient surprenants et provocants, ils ne soutiennent en aucune façon l’idée dévoyée que l’héritabilité implique l’immuabilité. De la même façon aucune politique spécifique ne devrait découler de cette découverte d’une corrélation entre l’influence du facteur génétique sur le statut socio-économique d’une famille et le développement cognitif d’un enfant car la politique dépend de valeurs. »

Ils terminent ainsi  : « De façon plus large, il devrait être reconnu, selon cette perspective génétique, qu’une opportunité environnementale égale va résulter en une influence génétique plus forte. Lorsque les différences environnementales diminuent, les variations qui restent entre les enfants en terme de performances seront dues à un plus fort impact de leurs différences génétiques. » Pour ces chercheurs, une forte influence de la génétique ne signifie pas une irréversibilité des situations et elle peut même constituer un argument en faveur d’interventions ciblées, justement pour modifier l’environnement lorsque celui-ci est moins favorable. Il est possible d’agir pour contrebalancer la génétique. L’approche génétique ne constituerait donc en rien l’acceptation d’une forme de fatalité.

La dimension génétique éclaire les résultats des interventions précoces

Autre exemple assez éclairant, celui de cette étude menée en Afrique du sud, publiée en 2018 dans la revue Plos. Le programme conduit initialement entre 1999 et 2003 auprès de futures mères d’une communauté noire de la ville de Khayelitsha, suivies à partir du troisième trimestre de grossesse jusqu’aux six mois de l’enfant, portait sur le renforcement de l’attachement. Les enfants étaient ensuite observés à l’âge de 18 mois. Ce dispositif avait déçu les chercheurs de l’époque. Les résultats n’étaient pas probants. Une deuxième équipe a ré analysé les résultats et fait une découverte assez stupéfiante : l’intervention a en fait très bien fonctionné mais pour une partie des enfants seulement, ceux qui étaient porteurs de la forme courte d’une partie du gène transporteur de la sérotonine. Ces bébés avaient un bien meilleur niveau d’attachement après l’intervention que les enfants du groupe contrôle. Il s’agit de l’une des rares études à montrer de façon aussi flagrante le rôle de la dimension génétique dans les résultats d’une intervention comportementale. Pour le responsable de cette équipe de recherche, Barak Morgan, l’une des implications de cette découverte est la suivante : sans données génétiques il est difficile de réellement juger de l’efficacité et de l’intérêt économique d’une intervention. On peut ainsi conclure qu’une intervention ne fonctionne pas parce qu’à l’échelle du groupe intervention les résultats sont décevants alors qu’en fait elle fonctionne parfaitement sur un sous groupe très précis. « Ensuite, qu’est-ce que ça signifie pour les individus porteurs du gène non réceptif ? Que peut-on faire pour que l’intervention fonctionne pour eux aussi ? »

Nous avions posé cette question au chercheur : « Ces résultats posent des questions éthiques. Signifient-ils qu’à l’avenir il faudra tester génétiquement les enfants avant de décider s’ils peuvent bénéficier d’une intervention ? » Sa réponse : « Non, parce qu’il y aura toujours d’autres données qui viendront interférer dans cette interaction entre un gène particulier et une intervention psycho-sociale. L’action d’un facteur environnemental sur un autre gène que celui étudié peut changer de nouveau la donne. Par exemple, l’abus de substances toxiques peut venir interférer, et cet abus aura un impact variable selon la forme du gène récepteur de la dopamine. La même version de cet autre gène peut être présente à la fois chez les enfants porteurs ou non porteurs de la version courte du gène transporteur de la sérotonine. Il serait donc inutile de sélectionner des enfants sur la base d’un gène spécifique pour un résultat en particulier. On ne peut pas être sûr qu’il n’existe pas d’autres gènes entrant en ligne de compte pour une même intervention. Donc personnellement, je pense qu’il est peu probable que la science en arrive un jour à amener les gens à prendre cette question au sérieux ou à s’en inquiéter. »

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