La sensibilité parentale au cœur du développement langagier

De quelle façon les parents influent-ils sur le développement langagier des enfants ? On sait depuis plusieurs décennies le rôle déterminant (mais non unique) de l’environnement sur le développement précoce du langage, développement précoce qui se révèle lui-même très prédicteur des habiletés cognitives et émotionnelles ultérieures.

Mais quels sont précisément les postures et comportements parentaux qui viennent influer sur l’émergence et la construction du langage ?

En 2019 une équipe de chercheurs canadiens (Madigan Sheri L.; Prime Heather; Graham Susan; Rodrigues Michelle; Anderson Nina; Khoury Jennifer E.; Jenkins Jennifer M) a publié dans la revue Pediatrics une méta analyse dans laquelle ils ont passé aux cribles une trentaine d’étude sur le sujet. Deux éléments en particulier les intéressaient : l’influence réciproque de la sensibilité et de la chaleur parentales (essentiellement maternelles dans les études). La sensibilité maternelle (« sensitive responsiveness » en anglais) renvoie à la capacité de la mère à identifier les signaux émis par l’enfant et à y apporter une réponse prompte, prévisible, appropriée, et chaleureuse, réponse qui va permettre des interactions harmonieuses et stimulantes. La chaleur seule est davantage liée à la manifestation de la tendresse. La sensibilité implique une réciprocité dans l’interaction puisque le parent répond à une sollicitation de l’enfant, rebondit sur l’objet de son intérêt, s’adapte aux basculements rapides et soudains dans l’attention de l’enfant. La sensibilité du parent s’exprime à la fois par le regard, le corps, et des verbalisations. La chaleur parentale, elle, n’implique pas une interaction, elle peut se manifester sans sollicitation de l’enfant, ne nécessite pas de réactivité de la part du parent et passe beaucoup moins par l’énonciation. Si l’expression de l’affection parentale favorise évidemment un attachement secure et le développement harmonieux de l’enfant, il semble que ce soit davantage cette sensibilité « « réactive » qui joue un rôle crucial dans la construction neuronale, le développement langagier, notamment parce que cette sensibilité encourage chez l’enfant les interactions sociales, au cœur des processus d’apprentissage.

L’hypothèse des chercheurs canadiens était donc que la sensibilité maternelle impacte davantage le développement langagier que la chaleur, ce qu’a effectivement montré l’analyse des 36 études retenues.

La sensibilité maternelle, encore plus protectrice dans les familles défavorisées

Autre résultat : l’association entre la sensibilité maternelle et le développement langagier de l’enfant est encore plus forte dans les familles à faibles revenus que chez les classes moyennes et supérieures. Bénéficier d’une mère particulièrement « sensible » bénéficie encore plus aux enfants des familles défavorisées. Pour les auteurs de cette méta analyse, ces résultats confirment les données de précédentes recherches : des interactions parents-enfants de très grande qualité se révèlent particulièrement protectrices dans un contexte d’adversité. C’est ce qu’avait rappelé le psychologue québécois George Tarabulssy lors du colloque organisé en octobre 2019 par l’Institut de la parentalité à Bordeaux : « Le dernier rempart ce sont les parents, et ce n’est pas culpabilisant. On peut travailler avec les parents pour réduire les inégalités sur le plan du développement humain. Il est possible de travailler avec ces familles et d’améliorer l’environnement proximal.»

A PAPOTO ce positionnement nous semble pertinent parce qu’il permet de travailler avec les parents, d’en faire des acteurs de la prévention et du changement, sans nier l’ampleur des difficultés qui sont les leurs ni des inégalités de traitement auxquels ils se heurtent.

Mais il ne s’agit pas d’une approche consensuelle. Pour de nombreux experts de l’enfance et de la parentalité français, considérer la guidance parentale des familles fragiles (dans le but d’améliorer la qualité des interactions parents-enfants) comme un outil de prévention des troubles du développement revient à stigmatiser ces familles, à les culpabiliser, et à faire peser sur leurs seules épaules la responsabilité de la reproduction des inégalités. Nous considérons pour notre part que le risque -documenté- de troubles, de retards, d’échec scolaire, de difficultés psycho-sociales, est plus grave que le risque -hypothétique- de la stigmatisation.

Parenting Behavior and Child Language: A Meta-analysis Madigan, Sheri L.; Prime, Heather; Graham, Susan; Rodrigues, Michelle; Anderson, Nina; Khoury, Jennifer E.; Jenkins, Jennifer M. American Academy of Pediatrics 2019

 

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