Les effets positifs du confinement pour les enfants des pouponnières

C’est un document aussi instructif et étonnant que revigorant. Peut-être même un document majeur, publié en ligne par l’association Saint-Ex pour la recherche en protection de l’enfance (avec laquelle le docteur Daniel Rousseau mène le programme PEGASE) et le GEPSo. Cet e-book intitulé « Les enfants et le virus, La vie quotidienne et les inventions dans les pouponnières sociales lors du Covid-19 » rassemble les notes de blog publiées pendant le confinement par des professionnels de la protection de l’enfance.

On pourrait le résumer ainsi : à l’annonce du confinement, les personnels en charge des enfants placés se sont inquiétés des effets potentiellement délétères d’une telle situation sur les enfants, soudain privés de tout lien physique avec leurs parents. Or, c’est, très vite, le constat inverse qui a été dressé. Au bout de deux semaines de confinement, les enfants allaient globalement bien, voire mieux. Voilà ce que racontent la plupart des acteurs de terrain qui ont alimenté ce blog, partageant leur surprise, leur satisfaction aussi d’avoir pu travailler autrement, par exemple avec les outils numériques, leur enthousiasme à l’idée que cette période inédite et étrange permette la naissance de nouveaux outils et modalités (visites parents-enfants virtuelles).

Eloignement physique contraint avec les parents et recours au visites virtuelles : une révolution conceptuelle

 

Daniel Rousseau résume ainsi les constats inattendus (certains observateurs les jugeront peut-être au contraire assez prévisibles) : « les jeunes enfants vont globalement bien, le cadre apaisé (moins de visites, de changements, de prises en charge, une plus grande permanence du personnel, parfois plus de personnel) soigne les troubles de l’attachement en stabilisant la vie quotidienne, « l’éloignement physique contraint » avec les parents semble permettre paradoxalement un rapprochement affectif par les moyens numériques, smartphones, tablettes, écrans, dans cette période particulière, les « visites numériques » entre parents et enfants s’avèrent souvent d’une plus grande richesse que les visites présentielles ».

Il écrit : « C’est une révolution conceptuelle du même ordre que la télémédecine mais sans doute beaucoup plus complexe à gérer du fait de la vulnérabilité des parents et de la situation de dépendance de l’enfant. Mais les effets positifs potentiels de cet usage en Protection de l’enfance seraient considérables si les notions de « visites numériques » et de « liens numériques » étaient conceptualisés et que les acteurs y étaient formés. »

Retour à l’essentiel : prendre le temps de créer la sécurité de base

Ce qui frappe à la lecture de ces tranches de vie et analyse à chaud des pratiques, c’est ce sentiment des professionnels d’avoir pu, à l’occasion du confinement, revenir à l’essentiel, du point de vue des enfants. Une psychologue au service petite enfance et service des visites médiatisées, raconte :

« Du coté des éducateurs, en dehors de leurs inquiétudes face à la question sanitaire, ils expriment eux aussi une satisfaction liée à cet écoulement du temps. Ils ont du temps avec les enfants ! Du temps pour lire une histoire, jouer ou regarder un film. Ils ne sont pas obligés de courir entre 39 réunion et rendez-vous, de faire le taxi. Ils peuvent être physiquement et psychiquement avec les enfants ».

Même remarque du côté de cette psychologue à la pouponnière du CDEF du Maine et Loire: « Comment vivent-ils ce confinement ? l’absence des rendez-vous kiné, CMP, orthophoniste…Et bien finalement pas si mal. Evidemment tous les troubles n’ont pas disparu. Mais un en particulier semble s’être apaisé, celui dont on parle beaucoup en réunion pluridisciplinaire. Le premier de celui qui touchent les enfants que nous accueillons… Le fameux trouble de l’attachement. Comment est-ce possible ? » Elle avance elle-même un début de réponse : « les adultes sont en nombre et peuvent répondre aux besoins primaires des enfants. Je devrais même dire AU besoin primaire des enfants à savoir « la sécurité de base » de par leur plus grande disponibilité. Les collègues pensent le quotidien, mais différemment.  En les écoutant je me dis, « Et si nous étions dans l’erreur le reste du temps ?! ». Lorsqu’un enfant arrive à la pouponnière, il passe sous le regard expert de tous les professionnels. De là s’en suit un ballet de préconisations, de bilans médicaux, psychologiques… Les enfants enchaînent les rendez-vous, pourtant nécessaires au regard de leurs troubles, de leurs besoins. Mais ces rendez-vous créent des ruptures, génèrent de l’insécurité, réveillent sans doute de nombreux traumatismes. Et si la priorité était ailleurs ? Ne faudrait-il pas d’abord penser la sécurité de base ? »

Une invitation à repenser (encore) les effets des visites médiatisées

Le recours quasi obligé à l’outil numérique et aux écrans pour maintenir un contact avec les familles, perçu au départ comme un pis-aller, s’est finalement révélé très prometteur. Cette infirmière en retraite s’enthousiasme à la lecture des observations de son ancienne équipe expliquant les visio-visites : «  l’enfant étant moins sujet à des inquiétudes profondes lors de la visite, inquiétudes renouvelées chaque semaine parfois, peut se restaurer profondément. Il peut vivre sa petite vie d’enfant plus calmement profitant des soins quotidiens des auxiliaires de puériculture, tout en ayant une image bonne de ses parents, derrière l’écran. (…) »

Il semble que ce qui ait été très protecteur pour nombre de ces enfants c’est aussi, avant tout, l’arrêt des visites médiatisées et la distance mise avec le parent, et on est bien là dans l’un des sujets les plus sensibles de la protection de l’enfance. Aube Plassais, psychologue, équipe de coordination nationale Pegase, écrit ainsi : « Des collègues qui travaillent en protection de l’enfance me partagent que certains enfants, privés de visites avec leurs parents, vont mieux. Cela va à l’encontre des idées reçues et du discours commun. Comment comprendre cela ? Quel sens y mettre ? Il y a de quoi se questionner quand les juges demandent la traçabilité des contacts avec les parents pour répondre aux droits des parents (droits de visites d’ordinaire, transformés en droit de communication via téléphone ou visioconférence) ».

En conclusion de ce e-book extrêmement riche, les auteurs résument les enseignements tirés du confinement : « Le premier, c’est leur formidable besoin d’expérimenter un monde prévisible avec des adultes suffisamment fiables et disponibles auprès d’eux. Le deuxième, qui en découle, est de limiter changements, ruptures, personnes nouvelles, déplacements inutiles, le temps qu’ils retrouvent de la sécurité, une des façons de soigner la compétence d’attachement. Le troisième est de se souvenir que les visites parentales présentielles peuvent replonger l’enfant dans la reviviscence d’événements traumatiques, dans le renouvellement de l’expérience du chaos ou d’interactions inadaptées. De ce fait l’usage de la visioconférence pour les rencontres familiales, le temps de l’évaluation de la situation et après si nécessaire, peut être un outil précieux à intégrer dans les pratiques en protection de l’enfance. »

Ils ne sous-estiment pas pour autant l’ampleur de la tâche : « Le défi sera d’analyser finement ces nouvelles pratiques et leurs modalités » car « ce nouveau mode de maintien des liens avec la famille s’est développé de façon empirique, sans analyse de son impact », sans oublier que malheureusement, « la fracture numérique frappe parfois autant les services de Protection de l’enfance que les familles des enfants confiés ».

« Les enfants et le virus La vie quotidienne et les inventions dans les pouponnières sociales lors du Covid-19 », ASSOCIATION SAINT-EX POUR LA RECHERCHE EN PROTECTION DE
L’ENFANCE En collaboration avec le GEPSo

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