Quand les chercheurs se demandent ce qui fait une « super » famille d’accueil

L’article résumé ici a été publié en 2012 dans la revue « Children and Youth services review », sous le titre Dimensions of high quality foster care: Parenting Plus. Il a été écrit par une chercheuse américaine de l’Université de Berkeley, Jill Duerr Berrick et une chercheuse norvégienne de l’université de Bergen, Marit Skivenes. Leur étude porte sur 87 familles d’accueil aux USA et54 en Norvège. L’idée était d’identifier les micro-pratiques au quotidien de ces familles, sélectionnées parce que leur accueil et leur accompagnement de l’enfant placé étaient considérés comme de très grande qualité. Pour identifier ces familles, les chercheuses ont posé la question suivante aux équipes des services sociaux : « si vous deviez confier vos propres enfants sur le long terme à des familles d’accueil, lesquelles choisiriez-vous ? »

Des entretiens ont été menés avec ces familles afin de comprendre ce qui, dans leur façon d’accueillir les enfants, en faisait des assistants familiaux +. Il leur était par exemple demandé : « Comment accueillez vous l’enfant le premier jour, comment faites vous pour qu’il se sente en sécurité et entouré ? » « Comment préparez-vous la première visite avec le parent ? »

Les deux chercheuses sont parties de l’hypothèse (mise en exergue dans de précédents travaux) que les familles d’accueil + (celles qui proposent un accueil de grande qualité) présentent d’abord les mêmes compétences que celles de parents biologiques« ajustés » : la capacité à sécuriser affectivement l’enfant en lui manifestant de la chaleur, la capacité aussi à favoriser l’exploration de l’enfant dans un environnement sécurisé et stimulant, à lui permettre d’intégrer les règles et les limites de façon non coercitive, à développer des compétences pro-sociales. Mais au-delà de ces compétences de base, les auteures voulaient savoir si d’autres habiletés spécifiques se retrouvaient chez ces « super caregivers ».

Leur réponse est : oui. Elles ont ainsi trouvé trois compétences spécifiques que ces familles vont développer en plus.

Donner le sentiment à l’enfant qu’il intègre une nouvelle famille comme un membre à part entière de cette famille

Ces assistantes familiales mettent en avant le fait qu’elles ne font pas de différence entre ces enfants et les leurs. « Il reçoit le même nombre de cadeaux que les miens, de notre part mais aussi de la part de mes parents ou de mes frères et soeurs ». Elles font très attention à faciliter la transition pour cet enfant. Pour les petits cela signifie de connaître la marque du lait qu’ils boivent, s’ils ont une tétine, un doudou, quels sont leur rythme de sommeil, leurs rituels d’endormissement, installer le lit de l’enfant dans la chambre parentale pour rassurer l’enfant les premiers temps. Pour les plus grands, plusieurs de ces familles ont expliqué ne pas trop préparer la chambre à l’avance afin de permettre à l’enfant de la décorer selon ses goûts.

Une réelle prise en compte de la famille biologique dans le triangle relationnel « enfant-famille biologique-famille d’accueil »

Ces familles d’accueil font part de leur compréhension de l’importance des parents biologiques pour les enfants et manifestent de l’empathie pour les défis qu’ils ont à surmonter. Elles mettent en avant le respect qu’elles éprouvent pour les parents, leur volonté de ne pas les juger, la certitude qu’ils éprouvent eux aussi un amour inconditionnel pour leurs enfants.

Témoignage : « je suis la plus grande supportrice de la mère. Elle me fend le cœur. Je pense que c’est une femme formidable qui n’y arrive tout simplement pas. Je lui ai dit que je ne voulais pas savoir ce qui s’était passé parce que je ne voulais pas que ça impacte mon regard sur elle. Je lui ai dit que mon travail était de m’occuper de ses fils le temps qu’elle soit capable de les récupérer ».

Les familles de cette étude font en sorte que les parents se sentent inclus et importants. Elles leur demandent des conseils, habillent les enfants dans des vêtements connus ou offerts par les parents. Ces familles montrent une grande flexibilité dans leur capacité à s’ajuster aux familles biologiques et aux besoins des enfants. Elles font beaucoup d’efforts pour valoriser les parents biologiques pour eux-mêmes et auprès des enfants. Une assistante Familiale dit ainsi aux enfants qu’elle accueille: « Je n’aurais jamais pu vous réussir de façon aussi parfaite ».

Les familles se sentent la responsabilité de construire l’estime de soi des enfants et dans ce processus les parents biologiques ont un rôle à jouer.

Elles insistent sur la valeur ajoutée de la pluralité des liens. Avoir plusieurs parents, plusieurs care giver, peut être un atout. Quand les enfants vivent un moment fort elles se disent « quel dommage que sa mère n’ait pas été là » et s’empressent de prendre des photos.

Les auteurs de l’étude relèvent néanmoins une différence entre les familles norvégiennes et américaines. Les familles norvégiens ont peu de contacts avec les parents biologiques en dehors des temps de visite et se sentent moins responsables de cette relation que les familles américaines.

Un rôle de tampon émotionnel pour les enfants

Parce qu’elles comprennent le besoin des enfants de conserver des liens avec leurs parents, les familles d’accueil acceptent leur rôle de « tampon » face aux émotions et à la douleur qu’entraîne pour l’enfant la séparation d’avec leurs parents.

Les auteures relèvent qu’en protection de l’enfance, un grand nombre d’enfants font l’expérience de souffrances émotionnelles qui sont le résultat de promesses non tenues, de rendez-vous manqués, de la peur d’être réunis ou de réunifications qui n’ont jamais lieu. Négocier ces situations signifie servir de tampon à l’enfant pour le préserver de blessures émotionnelles trop fortes : « Les parents biologiques peuvent être souvent amenés à faire des promesses qu’ils ne tiendront pas comme offrir des cadeaux ou récompenses (ils essaient ainsi de compenser le fait de ne pas s’occuper de leur enfant au quotidien). Mais pour de jeunes enfants il est très difficile de comprendre ce décalage entre les intentions et les actions. Et dans ces cas là les familles d’accueil sont au premier plan face aux sentiments des enfants. »

Parmi les familles d’accueil interrogées, les stratégies de tampon utilisées étaient :

  • Délivrer l’information sur la visite avec les parents au bon moment (quand on est sûr qu’elle va voir lieu)
  • Être totalement disponible pour l’enfant avant et après pour parler de cette visite, le réconforter, soutenir ses sentiments, l’assurer que ces visites ne vont pas changer sa situation dans un avenir proche
  • Parler avec les référents des services sociaux pour modifier éventuellement le calendrier, être certain que le lieu de vie des parents est sûr, se rendre disponible pour venir récupérer l’enfant en urgence, en cas de besoin

Témoignage d’une assistante familiale dans cet article:

« Je donne toujours l’impression d’être joyeuse et positive dans mon expression pour laisser entendre quelque chose du genre « hey, tout va bien ». Par exemple, je demande : « As-tu vu ta maman ? » « Ouais ». « C’était chouette ? ». « Non ». Vous savez, elle est placée depuis 18 mois, elle a 4 ans et elle sait. Elle ne comprend évidemment pas tout ce qui se passe mais elle se doute bien que la situation n’est pas ce qu’elle est supposée être. Elle se dit « je ne suis toujours pas avec ma mère. Qu’est-ce qui cloche ? » Et son père ne s’est pas montré depuis plusieurs semaines. J’essaie de positiver : «il doit avoir beaucoup de travail ». Je n’aime pas mentir mais à 4 ans, elle ne peut pas tout entendre. « Oh il n’a pas pu venir aujourd’hui, il a dû travailler, je suis désolée mon cœur ». Je câline, je donne de l’amour. Ils ont besoin d’une attention supplémentaire dans ces moments là parce qu’ils peuvent être particulièrement bouleversés. » »

Etre le plus ardent défenseur de cet enfant

Ces familles d’accueil + ont tendance à articuler leur vie autour des besoins des enfants accueillis, elles adaptent leur organisation dans l’intérêt de ces enfants et affrontent avec force des situations difficiles (harcèlement des parents biologiques, audiences judiciaires pénibles…). Elles se font aussi l’avocat de ces enfants qui présentent souvent des besoins particuliers et se battent littéralement pour eux, plaidant leur cause auprès des institutions, des médecins, des enseignants, des services spécialisés (comme le feraient les parents d’enfant porteur d’un handicap).

Ces caractéristiques peuvent tout à fait se retrouver chez certains assistants familiaux en France, voire chez la plupart. Elles pourraient être travaillées encore plus spécifiquement à travers des formations. Mais encore faudrait-il que les institutions, administratives ou judiciaires considèrent ces compétences comme une plus-value et traduisent cet intérêt par une meilleure prise en compte des liens tissés entre l’enfant placé et la famille d’accueil, un accompagnement des assistants familiaux dans ce rôle essentiel de « tampon » et une réelle considération pour les constats et observations de ces professionnels avant toute décision relative au devenir de l’enfant.

No Comments

Post A Comment