Soutenir intensément les parents pendant le confinement

Quelques semaines avant le confinement nous avions commencé à animer des ateliers PAPOTO en partenariat avec COPARENF, association locale d’un quartier de La Courneuve, avec laquelle nous entretenons des liens étroits depuis plusieurs années. Nos activités successives au sein de cette association (alphabétisation auprès d’un public adulte, soutien scolaire pour les enfants puis accompagnement à la parentalité) ont alimenté les réflexions et pratiques qui nourrissent aujourd’hui PAPOTO. 

Lorsque les écoles ont été fermées et la population confinée, le groupe WhatsApp créé initialement pour maintenir le lien entre deux ateliers PAPOTO a été utilisé pour garder un contact avec les parents et leurs enfants. Nous ne savions pas du tout ce qu’il allait advenir de ce groupe virtuel, qui rassemble aujourd’hui une quinzaine de familles (pour une quarantaine d’enfants au total). Près de deux mois plus tard, il semble qu’il soit devenu un incroyable espace de sociabilité, de ressource et de réconfort. Nous racontons ici ces deux mois d’échanges par écrans interposés.

15 Familles, 40 enfants

Quelques mots sur le profil socio-économique de ces mères (les pères ne sont jamais intervenus directement sur le groupe). Ces familles présentent des facteurs de vulnérabilité psycho-sociale plus ou moins marqués (4 mères isolées, 4 familles de 4 enfants ou plus,  une mère allophone, 80% de parents illettrés).  Une mère vit dans un hôtel social, une autre dans un logement privé insalubre. Deux familles partagent un même appartement. Deux familles possèdent un ordinateur, deux une tablette, les autres ne sont équipées que de smartphones. Une autre mère, ne résidant pas à La Courneuve, et ne présentant pas le même profil socio-économique, s’est jointe au groupe, à la demande de Prisque N’Kuni qui l’avait repérée sur Facebook. Elle a remarquablement alimenté et animé ce groupe avec ses idées incroyablement créatives. 

Il faut préciser qu’en parallèle de ce « club de parents» WhatsApp, l’auteure de ces lignes a mis en place dès le début du confinement pour l’association COPARENF un dispositif de suivi pédagogique pour les enfants de ces mêmes familles, dispositif que vous pouvez découvrir dans ce document (pdf en lien), et qui a certainement contribué à établir un fort lien de confiance avec les parents (imbriquer le soutien scolaire et la guidance parentale nous a toujours semblé pertinent).

Tutoriels, activités manuelles, cuisine

Photo COPARENF

Que s’est-il passé sur ce groupe durant ces deux mois ? Le 16 mars j’ai laissé un message indiquant que Prisque N’Kuni, la responsable de COPARENF, serait dans le local de l’association pour la dernière fois avant sa fermeture, afin de remettre aux parents qui le souhaiteraient un kit de matériel ludique (papier, feutres, crayons, livres pour enfants). Une maman du groupe, Yasmine*, l’une des rares à maîtriser l’écrit, particulièrement intéressée par les questions éducatives, a alors commencé à laisser des messages sur l’importance de passer chaque jour un peu de temps avec ses enfants. Elle deviendra par la suite, avec deux autres mères, l’une des plus actives participantes. Une dynamique s’est très vite installée. Les mères ont commencé à envoyer des photos et vidéos des activités réalisées avec les enfants. Immédiatement les autres membres du groupe ont commenté, avec des émoticônes, quelques phrases simples (« Bravo », « super idée », « j’adore ! ») ou des messages vocaux. Certains enfants ont vite pris l’habitude de laisser eux aussi des messages, de se filmer en pleine activité, en les commentant. Nous avons eu ainsi de nombreux tutoriels de cuisine, de dessins, de pâte à modeler, de poissons d’avril. 

De notre côté nous avons à chaque fois félicité, encouragé, remercié, ponctué certaines propositions d’informations complémentaires, proposé des vidéos de vulgarisation, des histoires lues (une institutrice de CE2 a enregistré chaque jour un chapitre de « Sacrées sorcières » de Roal Dahl), des chorégraphies, des rébus, énigmes. Chaque jour nous avons en moyenne laissé une vingtaine de commentaires, messages ou vidéos sur le groupe ou de façon personnalisée sur le fil WhatsApp individuel des familles.

Assez rapidement, des mères et des enfants « leaders » ont émergé. De temps en temps des participants plus en retrait ont étonné tout le monde en postant soudain une photo d’un magnifique dessin ou une vidéo drôle ou touchante de leurs enfants en train de jouer. Un frère et une soeur, dont nous savions que les parents étaient peu présents pour les occuper, ont pris l’habitude de présenter eux-mêmes leurs productions, faites avec les moyens du bord mais toujours proposées avec un grand sérieux et une belle fierté et à chaque fois, évidemment reçues par le groupe avec beaucoup d’enthousiasme. La question « qu’est-ce qu’il y a sur le groupe aujourd’hui ? » est devenue une ritournelle pour de nombreux enfants.

Un espace d’information et de sensibilisation pour les parents

Nous nous sommes régulièrement assurés que certaines activités qui nous semblaient particulièrement faciles à réaliser et très pertinentes pour des jeunes enfants étaient bien identifiées par les mères les moins actives dans les échanges, en leur transférant de façon personnalisée les messages laissés sur le groupe, avec une notification vocale : « Bonjour Aminata, Fatima a proposé ce jeu pour apprendre à compter sur le groupe. J’ai tout de suite pensé à votre petit dernier. C’est une super activité pour lui ! ». Régulièrement ces mères plus discrètes, qui postaient rarement de contenus ou ne laissaient pas de messages, nous ont signifié leur intérêt. « Je ne parle pas sur le groupe parce que je ne connais pas assez le français mais je suis ce qui se passe ». L’une d’entre elle à laquelle je transférais régulièrement les activités relatives à la conscience phonologique et à qui j’avais laissé un message sur le mode « vous devez vous dire que je suis totalement obsédée par ces jeux sur les sons mais c’est parce que ce sont des activités qui vont aider Ayman pour le CP l’année prochaine », m’a répondu : « Oh non Gaëlle, ne t’inquiète pas, je ne pense pas que tu exagères, je sais qu’il faut préparer le CP, tu as raison ». 

Régulièrement nous avons proposé des petites vidéos didactiques ou de prévention pour expliciter les processus à l’oeuvre dans les apprentissages ou pour rappeler les facteurs de protection qui pouvaient favoriser le développement des enfants. J’ai ainsi rappelé aux parents dans une vidéo que les enfants travaillaient dans des conditions très difficiles et qu’il était inutile voire délétère d’exercer sur eux une trop forte pression, de les disputer ou de les frapper lorsqu’ils ont du mal à faire leurs exercices. J’en ai profité pour refaire une explication sur les effets de la violence sur les enfants. Ce message a suscité des fortes réactions (positives). Une mère très peu présente sur le groupe a ainsi laissé un long message pour dire à quel point elle pensait que la violence n’était pas une solution et pour raconter combien la réussite de ses enfants lui importait. Une autre qui a beaucoup de difficultés à s’exprimer en français nous a dit « j’ai écouté le message, j’ai compris, c’est bien l’information, c’est bien les conseils ». Cette mère prend toujours la peine de nous signifier qu’elle reçoit, écoute et intègre les informations.

Awa, celle qui fait beaucoup avec si peu 

Photo COPARENF

Nous connaissons cette maman depuis un an. Prisque et moi-même étions allées à sa rencontre, dans la rue, à quelques mètres du local de l’association Coparenf. Nous avions en effet trouvé son petit garçon de 5 ans, apparemment seul, et en pleurs. Elle était assise un peu plus loin sur un banc avec ses trois autres enfants. Nous lui avons ramené l’enfant, Prisque lui a fait comprendre qu’il était trop jeune pour se trouver si loin de sa mère et nous lui avons proposé de passer dans le local le mercredi après-midi pour rencontrer d’autres mères et jouer avec les enfants. Depuis, chaque mercredi, cette maman est venue. D’abord très silencieuse, mais toujours la dernière à partir, tenant absolument à nettoyer la salle avec moi. Nos échanges passaient essentiellement par le regard et les sourires. J’ai beaucoup travaillé avec elle sur les interactions avec ses enfants, notamment sa petite dernière qui a aujourd’hui 2 ans et 4 mois, en la félicitant chaleureusement chaque fois qu’elle lui manifestait un peu de chaleur ou d’attention (c’est une maman assez rude au premier abord, peu affectueuse, avec des gestes brusques et un care-giving assez…distant). Elle s’est mise à observer les autres mères, notamment Yasmine, qui a elle-même beaucoup travaillé sur sa relation avec ses enfants, a lu, regardé des vidéos. Yasmine s’est en retour beaucoup attachée à Awa et à sa petite fille.  

Awa a participé à tous les ateliers PAPOTO que j’ai pu proposer. Elle était toujours la première devant la porte. C’est elle qui appelait les autres mères pour leur rappeler la tenue de l’atelier et leur dire de venir. Elle était toujours très attentive, répétant souvent « j’ai compris » et soucieuse de montrer, en pratique, qu’effectivement, elle avait compris.

C’est certainement la mère qui nous a le plus étonnés pendant ce confinement. Elle poste chaque jour des vidéos des activités réalisées (dans un logement insalubre présentant une seule grande pièce pour une famille de 6 personnes), vidéos dans lesquelles elle est en interaction constante avec ses enfants, participant à leurs jeux symboliques, filmant son fils en train de lire les lettres de l’alphabet, cuisinant avec eux. Elle poste les nombreux dessins des enfants mais aussi ses propres créations, prenant soin de préciser à chaque fois, dans un message vocal, à qui il faut attribuer le dessin. 

Elle répond à chacun de mes messages vocaux avec ses quelques mots de français, et aussi incroyable que cela puisse paraître, son français s’est considérablement amélioré depuis le confinement. Dans un message récent elle utilise l’expression « merci mille fois » que je n’avais jamais entendue auparavant dans sa bouche. 

Elle semble prendre un immense plaisir à rendre compte chaque jour de tout ce qui est fait au sein de la cellule familiale. Sur les vidéos, les enfants ont l’air épanouis et heureux, et une réelle complicité transparaît à travers les échanges entre Awa et ses enfants. Ce qui nous a beaucoup rassurés car avant le confinement nous étions assez inquiets pour eux. Nous avions pris des rendez-vous pour des bilans médicaux, avec l’accord d’Awa, et nous devions solliciter l’avis de l’école. Dès que la situation le permettra, nous essaierons d’obtenir pour cette famille un suivi médical, psychologique et social le plus exhaustif possible. Yasmine, qui, avant le confinement, s’était beaucoup attachée à la petite dernière d’Awa, proche en âge de son propre fils, a pris soin pendant ces deux mois, de réagir à chaque contenu posté par Awa, en félicitant, en commentant, en mettant exergue en quoi l’activité effectuée était intéressante pour l’enfant.

Rokia, quand la parentalité devient plaisir

Rokia a quatre enfants, de 12, 9, 7 et un an. C’est une jeune femme très douce, qui s’exprime bien en français mais ne le lit pas. Elle peut présenter un côté très indolent, en retrait, avec une voix atone, mais lorsqu’on commence à échanger avec elle sur les enfants, sur leur développement, elle manifeste beaucoup d’intérêt et semble heureuse d’apprendre de nouvelles connaissances. Alors qu’elle était enceinte de son petit dernier elle s’était montrée très réceptive à nos première vidéos PAPOTO. Il pouvait lui arriver de nous dire, une semaine après un échange, qu’elle avait repensé à notre discussion et qu’elle comprenait ce que j’avais voulu lui dire. Elle fait part de façon très honnête et lucide de sa difficulté à trouver la motivation au quotidien pour s’investir dans la relation avec ses enfants. Pendant le confinement, elle s’est retrouvée en première ligne concernant l’apprentissage de la lecture de son 3è enfant, en classe de CP. Pendant mes séances de lecture avec l’enfant sur WhatsApp, le matin, elle s’installait à côté de lui avec son bébé et suivait le travail effectué. Plusieurs fois je lui ai fait part de mes constats et hypothèses concernant les difficultés de l’enfant, et les stratégies utilisées,  lui demandant ses impressions. J’ai mis aussi en évidence, le plus souvent possible, les progrès réalisés. Lorsqu’elle rebondit sur les progrès de son fils, elle parvient à exprimer ses émotions, la tonalité de sa voix est très différente, plus aiguë, son débit s’accélère.  Elle laisse alors des messages vocaux euphoriques et très reconnaissants (« Je n’ai pas les mots, je suis tellement contente »). Elle a un jour décidé de relever un des défis du groupe et a reproduit avec deux de ses fils le célèbre tableau dit des « époux Arnolfi ». Le résultat est incroyable et hilarant. La voix gonflée de fierté (« Tu as vu ? Tu as vu ? »), elle a confié dans un message à quel point elle avait ri pendant ce temps partagé avec ses enfants. Aujourd’hui elle ma appelé pour vérifier que son fils de 8 ans avait bien effectué le travail scolaire que nous lui avions demandé. C’est la première fois qu’elle se positionne ainsi en mère donnant du cadre, désireuse d’assurer une supervision.

Yasmine et Fatiah, de l’angoisse à la fierté 

Photo COPARENF

Ces deux mamans sont amies et sont venues ensemble la première fois dans le local de l’association. Elles étaient toutes les deux très angoissées,  avec un fort sentiment de culpabilité, pour des raisons différentes, épuisées, manquant de confiance en elles, en demande de valorisation. Mères dévouées, extrêmement compétentes, fines connaisseuses du développement de l’enfant (mais désireuses d’en savoir toujours plus), il n’avait pas été très difficile de les rassurer et de faire baisser la pression. Pendant le confinement, le groupe WhatsApp leur a permis de totalement se révéler. Fatiah nous a dit qu’elle était inquiète à la mi mars de savoir comment elle allait occuper ses enfants dans un petit appartement. « Le groupe m’a poussé à donner le meilleur de moi-même. Je me sens très encouragée par tous les messages qui me donnent envie de continuer. » Fatiah s’est découvert une passion pour les activités artistiques et ce qu’elle a fait faire à ses jeunes enfants est assez prodigieux. Elle a été très valorisée par les retours élogieux d’une maman appelée en renfort sur le groupe et considérée comme une experte des ateliers créatifs avec laquelle elle a semblé devenir vite très complice (alors qu’elles ne se sont jamais rencontrées puisque l’autre maman n’habite pas dans le même département).  Yasmine a de son côté sans cesse proposé des activités ludo-éducatives pour les jeunes enfants. Ces deux mères, très pédagogues, ont pris soin d’expliquer quelles étaient à chaque fois les compétences travaillées. J’ai pu m’appuyer sur elles lorsque j’avais besoin d’activités spécifiques pour d’autres mères du groupe, leur demandant de me préparer des tutoriels sur mesure, ce qu’elles ont fait à chaque fois de bonne grâce.

J’ai laissé récemment à Fatiah un message pour lui faire remarquer qu’elle semblait avoir fait du chemin depuis notre première rencontre. Elle a reconnu qu’en effet, son fils et elle « avaient bien avancé » : « on se sent beaucoup mieux qu’avant ».

Le Ramadan et les enfants : l’épreuve de vérité

Lorsque le Ramadan a débuté début mai, nous avons été confrontés à une difficulté que nous n’avions pas anticipée. Plusieurs enfants de CE2-CM1 se sont mis à suivre les prescriptions imposées par ce moment phare de la vie des Musulmans pratiquants :  jeûne diurne et réveil en pleine nuit pour manger. Au bout de deux jours il s’est révélé absolument impossible de poursuivre le soutien scolaire quotidien. Nous avons connu un grand moment d’abattement, avec l’impression de voir réduits à néant nos efforts et notre investissement pour assurer depuis un mois et demi la fameuse continuité pédagogique. J’ai donc enregistré un nouveau message en vidéo dans lequel j’ai exposé, de la façon la plus factuelle possible, ce qu’étaient les besoins fondamentaux de jeunes enfants et les effets du jeûne et du sommeil haché sur leur santé et leurs capacités de concentration. J’ai détaillé les difficultés qui étaient les nôtres pour faire travailler les enfants en soulignant l’incompatibilité des prescriptions religieuses et du travail scolaire. Deux mères, elles mêmes musulmanes, m’avaient assuré dans des conversations privées que le jeûne ne devait pas concerner les enfants pré-pubères, que c’était en quelque sorte une hérésie. Je n’ai pas voulu entrer dans ces considérations théologiques, préférant rester sur mon terrain d’expertise et un sujet de préoccupation commun aux parents et à l’association : le bien-être des enfants. De son côté, Prisque N’Kuni a doublé ma vidéo d’un message vocal dans lequel elle expliquait qu’en tant que présidente de l’association elle se verrait obligée de suspendre le soutien scolaire si les enfants continuaient la pratique du ramadan, parce que le maintien de la continuité pédagogique serait trop éprouvant dans ces conditions pour les enfants et pour nous, les adultes, qui en avions la charge.

Les réactions ont été immédiates et unanimes. Les parents ciblés ont quasiment présenté leurs excuses et indiqué qu’ils avaient bien compris. Ils ont expliqué que les enfants avaient manifesté le souhait de faire comme les grands et qu’ils ne s’étaient pas rendus compte, eux, des conséquences. Les mères qui n’étaient pas concernées mais qui ont suivi attentivement les échanges, elles aussi pratiquantes, sont venues en soutien de notre propos et nous ont remercié de notre intervention. Pour deux familles nous avons appelé directement les parents. La première parce que le petit garçon concerné est atteint d’une maladie grave et présente une santé très fragile et que je devais m’assurer que le message était bien passé. Il s’est heureusement avéré que cet enfant avait voulu fanfaronner en prétendant jeûner alors que c’était faux. La deuxième parce que les parents n’avaient pas réagi à la vidéo et que nous devions savoir qu’elle était leur position. Prisque les a appelés et ils ont adhéré à notre demande que le ramadan ne soit pas observé par les jeunes enfants. 

Voici quelques unes des réactions après l’envoi de la vidéo (tous les parents qui s’expriment sont des musulmans pratiquants).

Témoignage 1 : « On a compris le message. Nous on veut continuer avec vous. Vous êtes là pour nos enfants, nous aussi il faut qu’on soit là pour eux. On est avec vous. Les enfants ont eu envie d’essayer. C’est vrai qu’avec le ventre vide le cerveau ne réfléchit plus, on ne peut plus se concentrer. Même nous les adultes on le voit dans notre travail. On a compris le message, on a très bien compris, excusez-nous! On les a laissés essayer mais c’est fini.  On va laisser les enfants remplir leur ventre pour qu’ils travaillent bien. Merci pour vos messages. » Elle laisse un nouveau message : « j’ai écouté plus précisément. Il y a des enseignants qui disent qu’ils s’adaptent (nous avions présenté les différentes réactions possibles). Mais il ne faut pas s’adapter ! Si le maître donne aux enfants qui font le ramadan un travail plus facile c’est comme si tu disais que tu donnes à l’un du chocolat et à l’autre des légumes. Je ne suis pas d’accord. Les choix personnels ne doivent pas faire changer la classe. Si on va à l’école c’est pour travailler. C’est comme ça. »

Témoignage 2: « il y a la responsabilité des parents. On n’envoie pas son enfant de 8 ans à l’école en faisant le ramadan. Ce n’est pas possible. Je suis musulmane, je prie, je jeûne. Les enfants ne doivent pas jeûner. Quand il y a l’école, c’est la priorité. C’est aux parents d’expliquer aux enfants qu’ils sont encore trop petits pour jeûner. »

Témoignage 3 : « Merci pour le message, on l’a écouté, c’est bien. »

Témoignage 4 : « Bravo pour la vidéo ! Je suis tout à fait d’accord ».

Témoignage 5 : « Je vous remercie infiniment pour cette vidéo, tout est très clair, bien expliqué, bien détaillé. En espérant que cela fasse bouger les choses. Merci à vous. »

Des parents qui expriment leur reconnaissance

Voici quelques uns des messages laissés par les mères lorsque nous avons expliqué qu’avec la fin du confinement l’autre bénévole et moi-même allions devoir reprendre nos activités professionnelles et alléger considérablement le soutien prodigué. 

« Merci beaucoup à vous, ce que vous avez fait est énorme. On ne sait pas ce qu’on aurait fait sans vous avec le confinement. Vraiment moi je vous dis merci. »

« Le groupe ne sera pas cassé. On reste avec le groupe jusqu’à ce qu’on se retrouve. Mille mercis du fond du cœur. Nous les mamans on vous remercie pour votre soutien, « ce que vous nous avez ouvert les yeux ». Il y a plein de choses qu’on ne connaissait pas. On était à la maison, on ne se sentait pas bien mais avec le groupe on a vécu plein de choses, on a vu ce qui était possible, on a partagé nos idées, merci. Vous êtes toujours là, même fatiguées, toujours là pour les enfants ! Vous nous avez aidés, vraiment.» Elle transmet les remerciements d’une autre maman qui ne parle pas français. « Vous êtes toujours là pour nous ».

« Tu as tout dit dans ton message. On a créé un lien fort de solidarité. Merci à l’association qui nous apporte tout son soutien et nous aide à être de meilleurs parents »

Les échecs et les limites

Une mère a quitté le groupe à la suite d’un quiproquo. Les rapports ont toujours été plus difficiles avec cette maman, à la fois très reconnaissante de l’aide apportée mais aussi très suspicieuse à l’égard des réseaux sociaux et de l’outil vidéo. Cette suspicion peut sembler a priori rationnelle et légitime mais chez cette mère elle a pris une coloration un peu paranoïaque. Prisque N’Kuni et moi-même avons fini par être assez irritées de sa défiance et de sa susceptibilité que nous trouvions déplacées en regard de notre investissement. J’ai donc fini par lui proposer de supprimer son compte sur le groupe pour éviter des malentendus difficiles à lever en raison notamment de sa faible maîtrise du français. Elle a semblé soulagée de cette proposition. J’ai en parallèle poursuivi le soutien scolaire avec deux de ses enfants.

J’ai tenté de greffer au groupe déjà constitué des parents avec lesquels j’avais commencé des ateliers PAPOTO via d’autres associations. La greffe n’a pris qu’avec une seule mère. Certains parents ont commencé par interagir avec nous puis ont rapidement cessé. 

Deux mois sans école, enfermés chez soi, c’est très long, pour les enfants et les familles. La fatigue et la lassitude s’installent. Si notre message sur les effets du ramadan a semblé être entendu et compris, il n’en demeure pas moins que pendant cette -longue- période, le rythme de vie des familles est considérablement modifié et qu’elles ont du mal à s’astreindre à des horaires compatibles avec notre propre emploi du temps. J’ai proposé de poursuivre le soutien de deux enfants en apprentissage de la lecture en expliquant aux familles que je ne pouvais le faire que le matin entre 9h30 et 10h30. Depuis 4 jours j’appelle sans succès. Les parents ne peuvent pas se réveiller et s’assurer que l’enfant est prêt. Les enfants plus grands sont eux aussi sur des rythmes très décalés. Ils se lèvent tard et ne commencent à travailler sur les devoirs qui leur sont envoyés que dans l’après-midi. Par exemple, il est à cet instant précis 11h41, j’ai envoyé sur WhatsApp à chaque enfant le travail du jour  donné par son enseignant et je constate que la plupart de mes envois n’ont pas été vus. Il est urgent que ces enfants retournent à l’école. Ce constat n’entache pas les résultats obtenus auparavant mais provoque chez nous une certaine lassitude.

Ajout : j’ai envoyé il y a une heure un message vocal aux parents pour les sensibiliser à la chronobiologie et aux effets d’un coucher très tardif chez les enfants. Une mère en général peu réactive, vient de me répondre : « Bonjour Gaëlle, ses vrai, merci pour le conseil 😍 ».

Si nous sommes convaincus des effets positifs du soutien prodigué sur les parents, nous ne savons pas quel a pu être l’impact sur les enfants et nous avons peu de moyens pour le mesurer. Nous ne saurons sans doute jamais si nous avons permis une amélioration du développement des enfants, ou à tout le moins limité les effets délétères du confinement.

Les enseignements de cette expérience

Il ne s’agit ici que d’un premier bilan, à chaud. Il va nous falloir un peu de recul et des échanges formalisés avec les parents quand nous pourrons les revoir pour analyser en profondeur les potentiels effets de  ce dispositif et en tirer des leçons pour notre pratique.

L’apport du collectif 

L‘effet de groupe a été extrêmement positif pour des raisons évidentes. Il a atténué la sensation d’isolement, prodigué un sentiment d’appartenance à une communauté bienveillante, donné l’envie de « faire », d’être dans l’action, de partager son vécu. Les adultes et les enfants se sont sentis portés.

La proximité, l’instantanéité et l’accessibilité permises par WhatsApp

 Je n’avais aucune pratique des messages vocaux avant le confinement. C’est devenu mon mode de communication privilégié. Avec ces familles très peu à l’aise avec l’écrit, la communication par messages vocaux interposés s’est révélée en tous cas très précieuse avec une interactivité presque magique. Je crois que chacun a eu la sensation d’être en contact très étroit avec les autres grâce à la chaleur de la voix. J’ai personnellement l’impression d’avoir quitté physiquement ces familles il y a quelques jours et non il y a deux mois.

La vidéo pour transmettre des messages 

La vidéo est au cœur de PAPOTO parce que nous percevions très bien la force de l’image pour faire passer un message. Cette expérience le confirme. Nous avons utilisé différentes formes de vidéo, avec différents objectifs : des vidéos pédagogiques pour les enfants, vidéos existantes, montées, sur Youtube, ou vidéos tutorielles que nous avons créées (très simples, en 5 minutes), les vidéos PAPOTO pour aborder un point précis avec les parents, et des « vidéos-messages » dans lesquelles je parle face caméra pour informer les parents sur un sujet important.

L’intensité du soutien prodigué et l’implication de l’intervenant

Il est évident que la reconnaissance des parents, mais surtout leur investissement sur le groupe et auprès de leurs enfants sont proportionnels à notre engagement. Nous avons vraiment mouillé la chemise, à temps plein, presque 6 jours sur 7, bénévolement. Moi aussi je me suis filmée en cuisine, moi aussi j’ai dessiné, construit des maisons en papier (et je n’ai vraiment pas la fibre manuelle). Une mère l’a formulé : « vous vous bougez pour nous, pour nos enfants, on se bouge aussi ». Au-delà de la volonté des parents de faire le maximum pour leurs enfants, j’ai senti une forme de « donnant-donnant » vis-à-vis de nous. C’est une posture que j’adopte souvent avec les familles : je ne cache pas ma sensibilité à la question de l’égalité des chances, je ne cache pas que je suis animée par une conviction éthique et politique, et je me mets facilement en scène. Catherine Sellenet disait lors du débat public relatif à la démarche de consensus sur les mesures de protection hors placement qu’on « n’aide pas les gens dan la distance ». J’en suis convaincue.

Valoriser le parent ET augmenter ses connaissances

 C’est le principe de départ de PAPOTO, notre axiome, notre pierre angulaire, notre raison d’être et j’ai la faiblesse de penser que c’est ce qui s’est passé pendant ces deux mois, en tous cas pour certains parents. La valorisation de chacun par l’intervenant et par les retours du groupe, ce travail de « renarcissisation » pour reprendre le jargon psy, facilite l’adhésion, améliore le bien-être psychique du parent, mais il s’agit finalement plus d’un outil que d’une fin en soi. L’objectif pour nous c’est bien de transmettre des informations au parent pour augmenter ses connaissances et ses compétences et modifier ses pratiques ou sa posture. 

Expliciter les attendus, les normes, avec la légitimité de l’expertise, autour d’un intérêt commun, l’enfant, c’est pour nous ce qui permet à un parent de « changer ». On peut tout dire ou presque, en prenant son interlocuteur pour un adulte responsable, en le rendant acteur, en lui demandant son avis, en lui rappelant d’où nous parlons, sur quels arguments nous nous appuyons, et en insistant toujours sur l’objectif recherché : le bien-être et la réussite de son enfant. 

*Les prénoms ont été modifiés

Gaëlle Guernalec Levy

Fondatrice de PAPOTO

Intervenante parentalité pour COPARENF

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