PAPOTO : ce sont les mères qui en parlent le mieux

L’année 2020 devait être pour PAPOTO celle de l’expérimentation tous azimuts puisque de janvier à mai nous devions animer plusieurs séries de cinq ateliers en Ile de France et dans les Hautes Alpes, et initier de nouveaux ateliers avec d’autres partenaires en septembre. La crise sanitaire et le confinement nous ont contraints à décaler ces premiers tests qui reprendront d’ici quelques jours.

Cette situation exceptionnelle a aussi quelque peu impacté le travail de Mirsada Adrovic, étudiante en Master 1 de Psychologie clinique parcours Psychopathologies, qui avait entrepris, à partir des ateliers PAPOTO et sous la direction de Thomas Villemonteix, un mémoire intitulé « L’acces à la connaissance scientifique pour soutenir la parentalité « Etude sur le vécu expérientiel et la perception d’un programme de psychoéducation auprès de parents « vulnérables » ». Mirsada devait interroger, en face à face, quatre mères avant leur première participation à ces ateliers puis de nouveau à l’issue de la série.  Les entretiens, qui ont bien commencé au domicile des mères, ont dû se poursuivre au téléphone et les femmes interrogées n’ont pas pu assister aux cinq ateliers initialement prévus.

Malgré ces difficultés et contraintes, Mirsada Adrovic a pu effectuer son recueil de données et soutenir son mémoire le 13 juillet dernier. Elle a obtenu 16/20. Bravo à elle et tous nos remerciements pour nous avoir accordé tant d’intérêt et consacré de son temps ! Pour PAPOTO, ce premier retour extérieur, comme une esquisse d’évaluation avec toutes les limites qui s’imposent (notamment la faiblesse de l’échantillon et les circonstances très exceptionnelles), est évidemment précieux et instructif. Nous vous résumons ici les grandes lignes de ce travail. Et nous vous précisons qu’au-delà du contexte particulier dans lequel il a été effectué, il faut aussi avoir à l’esprit que les ateliers PAPOTO analysés ici ont eux-mêmes été conduits dans un cadre spécifique. Nous les avons animés dans le local de l’association COPARENF à La Courneuve, et les mères concernées sont toutes accompagnées depuis plusieurs mois voire plusieurs années par l’association, avec laquelle nous avons nous mêmes des liens forts et anciens. Pour les mères interrogées, l’action de COPARENF et les ateliers PAPOTO, qui constituent un service supplémentaire qui leur est offert, se confondent (même si elles identifient parfaitement les séances menées à partir des vidéos comme des temps particuliers). Et ce d’autant plus que pendant le confinement nous leur avons, avec COPARENF, proposé un soutien à distance très intensif, pour lequel elles ont exprimé une profonde reconnaissance. C’est donc aussi cette satisfaction et cette gratitude pour l’aide apportée pendant le confinement que l’on retrouve très certainement dans les verbatims de ces mères collectés par Mirsada Adrovic.

Soutenir spécifiquement la parentalité des familles vulnérables : les données de la littérature

Au-delà du regard porté sur les ateliers PAPOTO, son mémoire propose comme il se doit une revue de littérature problématisée qui en elle-même nous semble un précieux travail de recension et de synthèse des données sur le développement de l’enfant, les pratiques parentales, la vulnérabilité psychosociale et les programmes de psychoéducation à destination des parents.

Tel ce passage : « En termes de pratiques parentales, la qualité des interactions précoces, et en particulier le respect du rythme de l’enfant, l’interaction avec le langage dès la naissance, le jeu et la verbalisation des émotions apparaissent comme des facteurs favorables à un développement harmonieux tant au niveau émotionnel, cognitif que social (Wasterlain, A., Alexandre, M. & Gaugue, J., 2017) et permettraient ainsi à l’enfant d’entrer dans les apprentissages scolaires ultérieurs (Davis-Kean, Pamela E.., 2005). Or parmi les facteurs de risque conditionnant les attitudes et les pratiques éducatives, on retrouve des facteurs génétiques mais aussi environnementaux comme la vulnérabilité psychosociale liée au niveau socio-économique et à l’état de santé psychique des parents (Chatelle, N., et de Becker, E. 2016). L’interaction des facteurs comme le niveau d’éducation maternel, la précarité économique, l’isolement social, la santé mentale, le statut migratoire avec des pratiques parentales moins ajustées a une incidence sur le style d’attachement ce qui à son tour a pour conséquence de favoriser des inégalités développementales et l’apparition de troubles mentaux (Sameroff, A. J., 1998). »

Ou encore celui-ci : « Force est de constater que ces pratiques éducatives varient fortement en fonction des milieux sociaux et qu’elles préparent ainsi très inégalement les enfants au régime disciplinaire de l’école. Déjà en 1958, Bronfenbrenner souligne que les pratiques parentales des classes moyennes sont en moyenne plus égalitaires et soutenantes tandis que les classes populaires sont orientées vers le maintien de l’ordre et l’obéissance (Hoff, E., Laursen, B., Tardif, T., & Bornstein, M., 2002). De ce fait, les règles y sont en moyenne moins explicitées, moins généralisables et donc moins transposables à un autre contexte et les sanctions peuvent tomber de manière imprévisible. En revanche, dans les classes supérieures, les styles éducatifs sont décrits comme plus démocratiques et centrés sur l’enfant et dans ce cas-là les règles sont connues, explicitées, parfois même co-construites avec l’enfant et la sanction ne tombe pas sans sommation. »

Avant les ateliers, des connaissances approximatives et une envie d’apprendre

A travers le vécu des quatre femmes interrogées, Mirsada Adrovic a souhaité connaître leur niveau de connaissance du développement de l’enfant et savoir si les ateliers augmentaient ce bagage théorique et modifiaient les pratiques maternelles. Mais elle a surtout sondé le ressenti de ces mères, leurs attentes, leur satisfaction, leur désir ou pas de recevoir ces informations, les angoisses que ces informations pouvaient générer, et le degré d’acceptabilité du savoir transmis. L’une des mères concernées est née en France de parents marocains, une autre est marocaine, en France depuis un peu plus de dix ans, deux sont originaires du Mali. Trois d’entre elles présentent un faible niveau d’éducation, une maîtrise approximative du français à l’oral doublé d’un illettrisme.

La conclusion générale de ce travail peut être résumée par cette phrase : « Les résultats tant quantitatifs que qualitatifs vont dans le sens de nos attentes à savoir un corpus de connaissance approximatif mais une appétence pour apprendre et s’améliorer ainsi qu’une demande d’aide et d’accompagnement clairement exprimée ». Le premier frein rencontré par ces mères pour accéder à l’information dont elles estiment avoir besoin est constitué par leurs difficultés avec la langue française que ce soit à l’écrit ou à l’oral.

« Les résultats du pré questionnaires nous révèlent un besoin et une demande unanime d’information concernant le développement des enfants et l’éducation, écrit Mirsada Adrovic. Les mères se posent de nombreuses questions et estiment qu’elles ont accès à très peu d’informations à ce sujet. La moitié des mères trouvent qu’élever des enfants est une tâche difficile. Elles sont toutes inquiètes de la façon dont les enfants se développent ou se comportent ou encore de ce qu’ils vont devenir plus tard. Elles reconnaissent avoir l’impression de ne pas comprendre les réactions de leurs enfants et de ne pas savoir comment réagir ou de ne pas avoir la bonne méthode. Ce sentiment est d’autant plus fort, que pour toutes ces mères la manière d’élever les enfants en France est reconnue comme très différente de celle de leur pays d’origine. Elles insistent toutes sur la place du langage en France et sur le recours à des sévices corporels dans leur pays d’origine « Non çà n’a rien à voir », « c’est pas du tout pareil car ici les enfants écoutent, en Afrique on le tape dès qu’il font une bêtise » ; « en Algérie, ce ne sont pas les parents qui éduquent les enfants, c’est la famille, les tantes, ils parlent beaucoup aux enfants en revanche, ils vont facilement dire des gros mots devant leurs enfants ou les frapper » ; « Ici on ne tape pas les enfants, on parle plus aux enfants ». »

Autres éléments recueillis avant le début des ateliers : « En ce qui concerne la manière dont les mères nous rapportent montrer de l’affection à leur enfant, deux d’entre elles nous confient qu’elles ne le font pas. Ainsi pour Elia, le désir est là mais il est difficile à mettre en œuvre « Je ne leur montre pas que je les aime mais je ne sais pas pourquoi, peut être que c’est parce que mes parents ne me l’ont pas appris, j’aimerai bien mais je n’y arrive pas, c’est compliqué pour moi ». Bahiya nous répond qu’elle ne sait pas. Trois des mères parlent volontiers des émotions avec leur enfant avec une nuance pour Kenza qui nous précise « seulement de leurs émotions à eux, pas des miennes ». En revanche Elia pense que « cela ne sert à rien, ils sont trop petits pour cela ». Toutes les participantes jouent avec leurs enfants ou les regardent jouer en revanche deux d’entre elles ne mettent pas de jeux à leur disposition et notamment Elia « pour éviter les disputes entre les enfants » ou chez Bahiya « parce qu’ils font du bordel ». (…) Dans les sept derniers jours, deux des mères reconnaissent avoir frappé leur enfant (avec la main) et lui avoir dit qu’il était bête ou méchant.»

Après les ateliers: intérêt, découverte et plaisir

Concernant les ateliers en eux-mêmes, « trois des participantes ont spontanément exprimé leur satisfaction quant à la qualité des informations partagées ». « Selon Kenza les ateliers offrent un intérêt particulier quant à leur contenu « le sujet est très enrichissant » et pour ce qu’ils apportent aux parents comme aux enfants « c’est des ateliers très intéressants pour nos enfants ; c’est intéressant et s’est enrichissant pour les parents». Pour Inès c’est même un sentiment unanime « toutes les mamans sont intéressées ». (…) Après avoir visionné les vidéos, toutes les mères réalisent que de nombreuses informations leur étaient jusqu’ici totalement inconnues « et là j’ai compris il faut qu’on doit parler avec les enfants, les regarder » ; « non c’était nouveau ». Pour Kenza, on note des regrets aussi bien en ce qui concerne le passé « j’aurais bien voulu avant quoi », « c’est dommage encore une fois qu’il le propose pas dès la sortie de la maternité », « c’est dommage c’est que j’ai attendu d’avoir mon troisième enfant pour connaître çà » que le futur « j’aurai bien voulu que çà continue » ainsi que de la culpabilité « nous malheureusement nous les parents, on ne sait pas tout », « çà nous aide à déculpabiliser quoi ». »

Les participantes ont également témoigné du plaisir ressenti : « L’atelier c’était merveilleux, ça nous a beaucoup beaucoup aidé », « en tous cas moi ça m’a fait beaucoup de plaisir », « ça fait plaisir quand on est là-bas », « en fait je me sentais ben libre », « chacun il est libre, y a pas de casse la tête et tout ça là », « et on en ressort bien », « ça m’a rempli les yeux »,« merveilleux, oui merveilleux ». Pour Inès et Elia, le plaisir est partagé « j’ai passé un bon moment avec les enfants, avec les autres mamans », « ça m’a plu parce que les enfants ils vont là-bas, ils jouent », « on parle et on se donne des conseils, et c’est génial », « ça change pour le quotidien, ça change la routine ».

Mirsada Androvic relève néanmoins que pour une mère, « le plaisir qu’elle éprouve à participer aux ateliers et à apprendre ce qui est préconisé en termes de langage, de limites, de jeu et de sécurité est contrebalancé par des regrets lorsqu’elle réalise qu’elle n’a pas forcément suivi ces préceptes pour ses deux grands enfants, « tout ce que je ne faisais pas… », même si elle se félicite d’être parvenue à modifier ses pratiques, « mais bon maintenant je le fais » ».

Quelques angoisses mais pas de réticences

L’auteure du mémoire formule une supposition sans pouvoir trancher : peut-être « cette expérience leur a-t-elle fait découvrir que leurs connaissances étaient limitées et cette soudaine prise de conscience de leurs lacunes accompagnée d’une envie de bien faire pour le bien être de leurs enfants a fait naître un besoin jusqu’ici méconnu qui leur apparaît comme urgent et primordial à satisfaire ». « Tout l’enjeu de ces programmes écrit-elle, est alors de passer d’une clinique des défaillances et des manquement à une valorisation des potentialités des parents en demande de soutien afin de faire diminuer leur niveau d’inquiétude, de culpabilité et d’échec.»

Elle s’est également posé la question de la possible stigmatisation de ces familles ciblées comme vulnérables. « Les entretiens ont clairement montré que les familles interrogées n’éprouvent pas le sentiment d’être stigmatisées et encore moins celui d’être jugées. Elles ne se sont pas senties mal à l’aise pendant les ateliers ni ne font mention d’une quelconque dimension méprisante. Il nous est difficile de savoir si cette perception est en lien avec un manque d’introspection ou d’élaboration de leur part qui les empêcherait de faire le lien entre leurs conditions de vulnérabilité psycho sociale et le fait qu’on leur ai proposé ce type d’intervention ou si tout simplement c’est une problématique qui ne leur appartient pas et qui est un présupposé établit par les sociologues. Par exemple, l’une des mères a précisé qu’elle n’avait pas peur d’être jugée, elle accepte d’entendre les conseils, puis elle se donne le temps de la réflexion, et juge par elle-même si cela lui convient ou non. Une autre a insisté sur son besoin de comprendre, de savoir et de chercher des solutions et grâce aux ateliers et aux réponses des intervenantes, elle est dorénavant en mesure de trouver des solutions rapides et concrètes, ce qui la rend heureuse et diminue ses inquiétudes. Pour cette dernière, perdre son temps à prêter attention au jugement éventuel dont elle serait victime l’empêcherait « d’avancer dans la vie et de sortir de chez elle ». »

Mirsada Adrovic estime également que « le postulat selon lequel les programmes de psychoéducation imposeraient des normes éducatives des familles aisées aux familles plus défavorisées n’a pas été vérifié dans cette étude ».  « Contrairement aux craintes et aux présupposés de certains sociologues qui militent contre l’imposition de normes éducatives occidentales ou propres aux familles aisées au nom de la préservation de l’égalité culturelle, les participantes ont tout à fait conscience qu’elles ne peuvent pas appliquer les pratiques de leur pays d’origine et sont convaincues qu’il faut s’adapter à celles pratiquées en France. »

Des nouveaux savoirs mis en pratique pendant le confinement

Elle écrit par ailleurs que les entretiens vont dans le sens d’une modification des pratiques après l’acquisition de nouvelles connaissances. « Malgré les inquiétudes suscitées par la découverte de nouvelles informations, les participantes ont trouvé les ressources pour changer certaines de leurs pratiques comme de communiquer davantage, d’instaurer plus de cadre et de limites, de passer moins de temps sur les tâches domestiques au profit de temps partagé avec leurs enfants même si une des mères rapporte ne rien avoir changé ».

Un élément nous semble particulièrement intéressant et prometteur : « Pour toutes les participantes, la période de confinement est venue confirmer que la modification de certaines pratiques, simple et peu couteûse, pouvait être efficace, et même rapidement, puisque la majorité d’entre elles nous a rapporté avoir constaté les progrès de leurs enfants et leur plaisir à évoluer. Nous pouvons faire l’hypothèse que ces résultats peuvent s’expliquer par la qualité de la relation de confiance établie avec les animatrices pendant les ateliers et la continuité de cette alliance pendant le confinement. Il est fort probable que leur investissement dans la modification de leurs pratiques soient en partie liée à un sentiment de loyauté vis-à-vis des animatrices afin que leur retour soit à la hauteur du temps passé et de l’énergie déployée par toute une équipe mobilisée vers un objectif commun : garantir les conditions optimales pour le développement et le bien-être des enfants. Il s’agit là d’un potentiel levier d’action à approfondir et à ne pas sous-estimer. En effet, même si la motivation pour changer et faire des efforts ne doit pas uniquement venir de l’envie de faire plaisir à un tiers qui a su montrer de grandes qualités de contenance et un engagement important, il semble que ce premier motif mériterait d’être considéré pour pouvoir ensuite envisager d’autres canaux. »

A raison, l’auteure estime que la présence d’un interprète pendant les ateliers constituerait un atout pour les mères qui pour la plupart ne comprennent que partiellement les contenus transmis. Mirsada Adrovic plaide également pour un maintien de l’accompagnement dans le temps pour cette population donnée et ce quel que soit la typologie du programme car il ne s’agit pas seulement de donner un accès et de partager les informations mais de les aider ensuite à les intérioriser, les mettre en œuvre et de continuer de répondre aux nouvelles interrogations qui pourraient émerger afin de faciliter leur appropriation si tel est leur choix. Enfin, elle estime que pour vraiment mesurer les potentiels effets de ces ateliers, il ne faut pas se contenter du ressenti des parents mais évaluer le développement des enfants sur la durée. Nous sommes enclins à ajouter : évaluer le développement des enfants en le comparant avec le développement d’autres enfants dans un groupe contrôle aux caractéristiques socio-économiques similaires. Telle est bien notre intention dans les années à venir.

1 Comment
  • Pingback:Papoto | Bilan d’étape pour PAPOTO
    Posted at 11:39h, 02 novembre Répondre

    […] retours des participants, nous avions déjà partagé les verbatims recueillis par Mirsada Adrovic dans le cadre de son mémoire de master : « L’atelier c’était merveilleux, ça nous a beaucoup beaucoup aidé », « en tous cas moi […]

Post A Comment